Traversée de Madère d'est en ouest
Réveil à 7h30 après une belle grasse matinée. En quittant la chambre d'hôtes, nous hélons un taxi après seulement dix pas. La femme qui le conduit nous avertit qu'elle va déposer sa cliente actuelle au centre-ville et qu'elle nous prendra en revenant. Sur la route d'Achada de Teixeira, elle nous explique que son parfait anglais vient du fait qu'elle ait vécu des années à Londres avant de revenir sur son île. Aujourd'hui, elle vit de ce métier de chauffeur. Quand on voit le nombre de taxis dans les petits bourgs, je me demande comment elle s'en sort ?
Le véhicule reprend la route que nous avons parcourue hier à pied, puis poursuit sur une bonne demi-douzaine de kilomètres supplémentaires. Il est 9h au moment de s'élancer. Les nuages nous enveloppent. Nous sommes à 1592m et il fait seulement 6 degrés. Une vingtaine de kilomètres nous attendent, 530 mètres de dénivelé positif et plus de 1100 mètres en descente dans un parcours en dents de scie et avec nos sacs sur le dos.
L'itinéraire débute par 2,8 kilomètres de voies pavées relativement larges qui conduisent -si tout va bien- au Pico Ruivo, sommet le plus élevé de l'île, amarre pour les nuages. De temps à autre, un abri émerge de la brume, toujours ouvert sur un côté. La végétation alentour est basse, majoritairement constituée de petits arbustes, de genêts et de bruyère. Il ne pleut pas vraiment mais les nuages nous couvrent de gouttelettes qui sont particulièrement gênantes sur mes lunettes. Je devrais songer à y installer des essuie-glaces. Nous avons en outre enfilé nos capes de pluie -comme hier- qui nous donnent un aspect de "petits chaperons verts". Sauf que pour nous il n'y a pas de loup, seulement une très forte hygrométrie. Sur les points les plus à découvert, de fortes bourrasques font se mouvoir les nuages de façon perceptible puis basculer de versant, rivière impalpable s'écoulant vers les hauteurs de la côte sud où elle sera contenue.
Nos pas ne tardent pas à croiser les marquages de l'ultra-trail de samedi. Ceux-ci vont devenir un point de repère tout au long de la journée.
Ultime cabane sur un piton rocheux : le refuge. Nous ne faisons que passer devant sans marquer de halte. Pas besoin de se refroidir maintenant que nous sommes lancés. Plus que 200 mètres avant le toit de Madère. Une longue volée de marches nous conduit sur une plateforme où se dressent une borne et une colonne. Par temps dégagé, la place est une vigie d'où les sentinelles d'un instant peuvent balayer toute l'île du regard. Aujourd'hui, l'endroit n'a rien d'exceptionnel tant la purée de pois nous enveloppe : au-delà des rambardes, seul un tableau blanchâtre que l'esprit ne sait comment combler.
Nous ne nous attardons pas à cet endroit exposé et, à l'image des nuages, basculons temporairement sur le versant sud. La pluie commence progressivement à tomber, pas fortement mais insidieusement. Doucement, nous allons à nouveau prendre l'humidité par tous les pores, sans aucun répit. Un lent travail de sape qui va finir par me déconcentrer.
A partir du point haut, le trek devait durer 4h. Avec mon excellente coéquipière, sous ce temps qui ne se prête pas aux pauses, nous allons mettre 3h15. Le chemin est net, pas de place au doute heureusement. Deux montées longues et raides, deux descentes très étirées, des marches irrégulières bien souvent pour revenir à 1007m au final. Entre-temps, le sentier s'enroule autour de chaque pic et se plaque contre leur paroi, façon de les museler pour pas qu'ils ne nous échappent. Les points cardinaux se brouillent, j'ai parfois l'impression de revenir sur nos pas avec la succession de lacets tout en étant assuré, paradoxalement, que nous progressons dans la bonne direction.
La visibilité s'améliore progressivement et, au passage d'un col, nous pouvons apercevoir un moment une vallée en forme de large cirque, bien loin en contrebas. Nous sommes si isolés, perchés sur nos arêtes que le seul son qui nous parvient en dehors du bruit de nos pas est le ruissellement de l'eau. La végétation colonise toutes les pentes, même les plus raides. La verdure et le bois mort cohabitent pour dresser devant nous un tunnel ajouré semblable à une haie d'honneur. Les fleurs sont partout présentes majoritairement dans les tons foncés, mauve et bleu en tête, occasionnellement de couleurs plus éclatantes.
Nous croisons peu d'autres randonneurs dont un seul groupe. Tous évoluent en sens inverse, plus difficile à priori car avec davantage de dénivelé. Toutefois l'épreuve tient davantage à la météo en réalité qu'à la pente. Trempé et parfois un peu en difficulté dans les descentes du fait du rythme élevé de ma coéquipière et des précautions pour économiser mes rotules, je presse le pas et commets une première erreur : mon pied glisse sur une roche détrempée et part de travers. La douleur est immédiate, je crains l'incident idiot. Mais une bonne étoile me protège sur ce coup. Par contre, je suis à présent déconcentré et pressé d'arriver pour être enfin au sec. Cet état d'esprit ne pardonne pas et je vais goûter le sol encore 4 fois en une heure de temps. Il me faudrait m'arrêter pour me ressaisir mais je ne souhaite pas nous ralentir et encore moins nous refroidir. Heureusement à chaque chute, je suis bien soutenu par Laëtitia qui essaie de comprendre ce qui ne va pas et s'enquiert de mon état. Physiquement ça tient la route mais, moralement, le plaisir n'est plus là sur la fin, davantage le souhait d'entendre se rapprocher à grande vitesse ces bruits de moteurs qui signalent le col d'Encumeada.
La route apparaît comme par enchantement. Elle est peu fréquentée. Une branche part vers le plateau Paul da Serra qui nous attend demain, une autre descend vers notre hôtel, à un kilomètre en contrebas. Un immense complexe apparait. Nous y sommes ! Il est 13h30. Ce n'est pas pour autant terminé car notre chambre n'est pas encore préparée et nous allons devoir attendre un bon paquet de temps, à moitié transis et totalement ruisselants, avant d'y accéder. Un chauffage d'appoint va nous permettre de sécher nos affaires d'ici à demain. Ce n'est qu'une fois au sec que nous allons envisager de manger. Ne reste plus que la douche qui ne va pas tarder pour se sentir comme neufs !
Le reste de la journée, copieusement arrosé en extérieur, se passe retranché dans l'hôtel à étudier la suite du parcours. Il est normalement prévu une journée de marche dénuée d'intérêt demain pour rejoindre la prochaine randonnée recommandée. Nous échafaudons des plans pour tenter de prendre un véhicule et ainsi gagner 24 heures. Ce faisant, nous disposerions d'un vendredi libre à occuper à notre guise. Un autre point de notre programme est également au coeur de notre réflexion : aller ou non à Porto Moniz, une ville située au nord-ouest de l'île. Je l'avais incorporée à notre itinéraire pour effectuer le tour le plus complet possible de Madère. Cependant, maintenant que nous sommes sur place, se prendre 6h de bus pour 2h sur place me paraît une aberration. Un guide de La Balaguère qui débarque avec son groupe ne va pas tarder à abonder dans notre sens : pour lui, Porto Moniz est une station balnéaire ultra-touristique mais qui est loin de valoir le détour sauf à se baigner dans la piscine en bordure de mer. Comme ce n'est pas vraiment notre style, nous décidons définitivement de faire une croix dessus. En remplacement, Laëtitia et moi nous accordons presque sans parole sur Ponta do Pargo et son phare. Un type d'édifice qui nous attire tous les deux. On ne sait peut-être pas à quoi il peut ressembler mais la motivation étant partagée, il n'y a pas à hésiter. Nous passons ensuite un peu de temps sur internet pour finaliser ces projets en vérifiant la faisabilité en autobus, les horaires ...
La fin de journée se passe en lecture, rédaction de carnet de voyage, jeux dans des magazines ou de cartes. Ces derniers, juste avant le coucher, me permettent de me cultiver sur les impressionnistes tout en m'amusant.