Le cirque vert

Lundi 27 mai 2013

La nuit à 3 dans une chambre de 10m² c'est un peu rude surtout quand le troisième, un squatteur, "ronfle" une partie de la nuit. Ce larron, c'est un moustique. Saleté de bestiole qui nous importunait chacun notre tour. Cartoon où, lorsque l'autre ne bouge plus dans son lit, vous devinez que c'est à votre tour d'être harcelé. Il finira par m'avoir.

Ce matin, nous avons décidé de nous lever à 7h, le bus passant dans 1h10. Après le petit-déjeuner, nous commençons la journée par la côte de 1,3 kilomètre que nous avions repérée hier, mais cette fois-ci, sacs au dos. Le bus nous récupère toujours avec une poignée de minutes d'avance. Voici une région où il vaut mieux ne pas trop trainer ... Il y a moins de dix kilomètres pour rejoindre par la route notre destination. C'est sans compter sur le fait que le véhicule prend un chemin d'écolier, escaladant les flancs raides des montagnes : montée escarpée le long d'un versant et descente par un autre. Les terrasses cultivées s'accrochent partout ici, même sur les pentes les plus improbables. La récolte doit être impressionnante. Le temps lui-même reste suspendu dans les hauteurs s'écoulant par grappe sans que le voyageur ne s'en rende compte, absorbé comme il est par son environnement. C'est ainsi qu'à 9h, le bus se gare dans un endroit totalement inconnu de Santana. Les cartes sommaires que je nous avais imprimées ne nous sont d'aucune aide ne parvenant pas à nous localiser même avec l'aide du chauffeur. C'est alors qu'un coup de pouce inattendu va nous sortir de cette situation : un second chauffeur qui stationnait là prend le relais du premier et nous dépose devant notre maison d'hôtes. Un bus rien que pour nous qui joue les taxis, nous ne l'aurions jamais imaginé !

Arrivé à notre hébergement du jour, nous ne trouvons qu'une seule personne dans la propriété : un allemand qui prend l'air. Parlant très bien la langue de Shakespeare, il héritera du surnom de "l'Anglais" même lorsque nous connaîtrons sa véritable nationalité. Il nous apprend que la maîtresse de maison ne viendra probablement que pour le petit-déjeuner de demain. Et nous on fait comment ? Le voilà qui prend les choses en main, nous choisit une chambre et nous installe alors que c'est un client comme nous présent à Madère pour une compétition (l'ultra trail ?). Les lits sont particulièrement impressionnants car hauts et la fenêtre donne sur un jardin bien entretenu. Installés, nous passons à l'étape suivant : nous devons faire des courses pour être autonomes 7 repas. Dehors, la pluie commence à tomber. Nous nous dirigeons vers une supérette pour nous approvisionner. Hélas, la diversité des produits proposés est presque digne des périodes de rationnement que nous racontaient nos grands-parents. En 7 repas, nous aurons le droit à 6 boîtes de thon. Et après on s'étonne de la surpêche et que les mers se vident ! Quand je pense qu'on avait le jambon à portée de main dans la montée ce matin ... (une odeur de lisier signalée à l'article précédent)

Les impératifs achevés, nous nous élançons pour notre randonnée du jour avec uniquement le nécessaire sur nous. Autrement dit : pas de gros sac, juste un léger pour la journée. Il n'y aurait pas la gravité terrestre, je pense que je naviguerais entre Neptune et Pluton à l'heure actuelle. Les réjouissances commencent par 4,3 kilomètres de montée sur la route du Pico Ruivo. Petite statistique : 470 mètres de dénivelé pour l'entame, je vous laisse calculer le dénivelé moyen à 2 chiffres.

La ligne de départ fictive est devant une maison typique de Santana située à l'intérieur d'un virage : son toit de chaume tombe directement jusqu'au sol et il n'y a ainsi que deux façades visibles. Toutes arborent les mêmes couleurs : rouge, blanc, bleu. L'habitat disparaît rapidement pour laisser la place d'abord à des massifs d'hortensias puis à une forêt toute en hauteur. Le chemin à suivre est évident. Pourtant, un touriste motorisé débouche d'une petite voie et, nous apercevant, nous demande la route du col. Il y en a qui ont vraiment des problèmes avec l'orientation ...

Pico das Pedras, 870m, pas d'oxygène en bouteille, réserves en eau : abondantes. Dans un temps proche de celui que j'avais estimé pour la montée, nous parvenons au premier sentier décrit par mon guide Rother. Désormais il n'y aura que du plat : d'abord un itinéraire que je qualifierais de "transition" puis la promenade principale. Nous sommes devant un ensemble de bungalows traditionnels et la pluie redouble d'intensité. Nous avalons ce bout de chemin à un rythme très soutenu, la capuche du poncho vissée sur la tête. Mon seul horizon la plupart du temps, ce sont les chaussures blanches de Laëtitia. Je suis leur cadence et leur direction pour éviter autant que faire se peut les innombrables flaques de boue. Nous croisons quelques personnes au cours des 30 minutes dans cette forêt où les essences principales se nomment chênes, érables, lauriers et eucalyptus. Un  patrimoine que l'UNESCO a classé mais dont nous ne pouvons pleinement profiter au vu des conditions. L'eau finit par gagner et nous trempe les pieds, la fraicheur s'empare de nous alors que nous sommes seulement dans le premier tiers de notre journée. Dans ce contexte, être deux, c'est se soutenir et se pousser mutuellement à aller de l'avant.

Queimadas, 880m, toujours pas d'oxygène, réserves d'eau : importantes. Nous avons atteint un parking marquant le point de départ du sentier vers le cirque vert, un itinéraire spectaculaire qui nous récompensera des efforts consentis. Tout commence par quelques maisons traditionnelles qui font office d'auberges et par une mare aux canards. Nous franchissons un petit pont en bois et commençons les 6 kilomètres aller de progression dans des cadres très variés. Après une nouvelle traversée de forêt, la levada se rapproche de la falaise et s'y agrippe. Les murets qui la contiennent sont étroits et formés de pierres irrégulières. Il n'est pas évident de toujours marcher dessus. Au kilomètre 2, nous franchissons un mini-viaduc dominant une rivière qui fuit vers la vallée. Non loin, une cascade de 50 mètres me laisse croire un instant que nous sommes déjà au bout. A tort.

Jusqu'à présent le sentier était assez large mais il va parfois se confondre avec la levada (bien protégé par des câbles). Une série de quatre tunnels va également agrémenter notre route. La frontale n'est pas un luxe pour s'orienter à l'intérieur car nous ne voyons pas toujours la sortie du fait de leur longueur ou de la présence d'un coude au milieu. De temps en temps, il nous faut baisser la tête et courber l'échine. Avec une seule source de lumière pour deux, nous nous débrouillons très bien. A la sortie du dernier, de belles surprises nous attendent : le ciel ne semble plus rien avoir à déverser sur nos têtes et le sentier est en bordure du vide, à flanc de paroi. Un final en apothéose dont nous savons nous délecter malgré la présence de groupes, plus nombreux, qui viennent troubler la quiétude des lieux.

Encore 100 mètres ! Nous rentrons progressivement dans un cirque aux parois si abruptes que l'on se croirait volontiers dans un gouffre. Au dernier moment, nous voyons enfin apparaître la tant convoitée cascade de Caldeirão Verde qui se jette dans le vide pour atterrir dans un petit lac.

Le retour se fait par le même chemin jusqu'à Queimadas puis Pico das Pedras. Un temps, la clémence du ciel va jusqu'à ouvrir des fenêtres permettant de découvrir la vue en contrebas : les arêtes des montagnes créent de multiples vallées de par leurs ramifications. Une sorte de banian dont les racines courent de façon très aérienne dans toutes les directions vers la mer  et dont le feuillage serait l'épaisse couche nuageuse agrippée aux sommets.

Nous retrouvons le bitume et la pente prononcée. Mes genoux me rappellent à l'ordre et nous devons ralentir un peu. L'occasion de prêter davantage attention à la flore qui nous environne.

Retour au point de départ. Laëtitia part se réchauffer et se changer dans nos quartiers, temps que je mets à profit pour pousser encore un peu vers le centre-ville. Sur la place de l'église, une cérémonie funéraire se déroule. Un long cortège noir sort du sanctuaire et se met en ordre de marche au son du glas. Un curé et quelques assistants prennent la tête de la procession brandissant une bannière sombre. Toute l'assemblée va parcourir les rues de la localité pour rejoindre le cimetière, une centaine de personnes au moins. Plus loin, l'office du tourisme. Curieusement, c'est un des seuls bâtiments de Santana occupant une maison traditionnelle. A l'intérieur, une jeune femme disposée à me renseigner quand elle me voit entrer sauf qu'elle ne parle pas anglais ... Employant 3/4 mots de portugais appris avant de partir, je parviens à collecter une seule des informations que j'étais venu chercher : le prix du taxi pour demain est bien de 15€ comme le suggéraient les forums consultés depuis chez moi. Avoir une idée juste permettra de ne pas se faire arnaquer le cas échéant.

A mon tour, je prends la direction de la maison d'hôtes pour une remise en état appréciable. En arrivant, je retrouve Laëtitia lézardant sur la pelouse et adossée à un mur en plein sous un soleil retrouvé (et grandement apprécié). Je réserve également une place pour venir l'imiter quelques minutes plus tard. Il fait si bon de profiter de ces instants de repos après une journée tant arrosée !

A table, la seule viande de nos 7 prochains repas. J'insiste parce que je me lasse vite de manger plusieurs fois d'affilée la même chose et pour souligner à quel point j'ai savouré ce diner. A peu près à cette heure-là, nous avons également le plaisir de voir débarquer la propriétaire. "Plaisir" car en réglant ce soir, nous sommes libres de partir quand nous le souhaitons demain et ne sommes dépendants de personnes.

Nous terminons la journée par un jeu quotidien. Ce soir, Laëtitia a repéré un billard au sous-sol. Nous allons enchaîner deux parties non pas en tant qu'adversaires mais davantage en tant qu'alliés car, pour mettre toutes les boules dans les trous et au vu la nullité de notre jeu, ce n'est pas un luxe. Au moment de nous coucher, nous nous sommes au final bien divertis et amusés. Merci pour la découverte de cette salle !

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