Traversée de Madère d'est en ouest
Nouveau lever à 7h30. Je vous dis que nous allons finir par nous y habituer ... Ce bonus est en outre accompagné d'un petit-déjeuner très copieux pris dans la salle de restaurant. Une heure plus tard, nous sommes parés au départ. De la fenêtre de la chambre, nous voyons une auberge qui se situe près du col à une petite centaine de mètres au-dessus de nos têtes. Un peu plus haut encore, un ciel qui ne laisse aucune place à l'espoir.
La perspective de la journée est presque aussi sombre que le ciel : 16,2km de marche et plus de 600 mètres de dénivelé positif pour rejoindre l'hôtel suivant, également isolé au milieu de nulle part. C'est promis, si nous le pouvons nous allons tenter le stop qui nous avait si bien réussi en Irlande il y a 12 mois.
Premier kilomètre de montée pour retrouver les 1007m, un tronçon emprunté hier en sens inverse. L'entrée en matière est déjà costaude, nos muscles ne sont même pas échauffés que nous exigeons d'eux le maximum. Un ronflement de moteur monte dans cette caisse de résonnance qu'est la vallée où nous évoluons. Je me retourne et lève le pouce. Le véhicule passe sans s'arrêter. Une seconde tentative s'offre bientôt : un pick-up apparaît qui serait tout à fait approprié. Il fait mine de ralentir après nous avoir dépassés, semble un temps tiraillé puis repart sans avoir marqué de pause. Le stop s'annonce dur. Nous finissons par atteindre le col et ses embranchements. Désormais, sur la voie que nous prenons, tous les véhicules iront vers notre destination surtout qu'il n'y a rien d'ici là.
Bientôt quarante minutes que nous sommes partis. Pas un seul mètre de plat : juste de la montée et encore de la montée. La pluie commence à tomber. Si nous ne trouvons pas rapidement un véhicule je vois mal qui prendra deux jeunes détrempés ? Nous devons également enfiler nos costumes de "petits chaperons verts", presque une seconde peau désormais. Mais ceux-ci pourraient également nous porter préjudice à l'instar de nos gros sacs. Le trafic se fait soudain un peu plus dense et c'est tant mieux car nous approchons du premier tunnel. Les deux premiers véhicules passent sans même ralentir, l'un était plein, l'autre bien vide mais ne se souciant même pas de mes gestes faisant appel à sa sollicitude. Dernière chance avant le tunnel, nous sommes deux à faire signe à la voiture qui se présente. A la différence des précédentes, celle-ci s'arrête à notre hauteur. Il n'y a plus qu'à croire en notre bonne étoile. Un couple d'anglais d'Oxford nous offre le confort dont nous rêvions et va même jusqu'à faire un détour pour nous déposer à notre hôtel. Nous les remercions largement mais pas à la hauteur de l'aide qu'ils nous ont apportée. Aussi ne nous paraît-il pas superflu de leur payer un café dans notre auberge du jour. Le bar est décoré de façon très originale avec une ambiance très jungle et de nombreux animaux. D'ailleurs chaque siège au comptoir possède une queue de zèbre, d'éléphant, d'antilope ou de je ne sais quelle autre bête de brousse. Totalement décalé et cocasse ! Détail croustillant : la barman n'est autre que le conducteur de la seconde voiture vide qui ne s'est pas arrêtée avant le tunnel. Ne se sentant pas très à l'aise, il trouve une explication fumeuse. Mais après tout, libre à chacun de prendre ou non un marcheur au bord de la route.
Nous sommes à notre destination du jour sans être trempés, ni frigorifiés et, à environ 10h, nous avons la journée devant nous pour en profiter. Nous laissons nos sacs principaux à l'hôtel pour partir légers. A nouveau Neptune et Pluton me paraissent accessibles et ce d'autant plus que j'ai revêtu ma peau de petit homme vert. Les pieds sur terre nous partons pour seulement deux kilomètres en légère descente vers le début des deux balades conseillées par le guide Rother. La route suit les crêtes d'où des rafales qui viennent gonfler les ponchos et arroser nos visages d'un léger crachin. Un petit parking en bordure de route surgit de la mer de nuages. A partir de là, une voie toujours bitumée et bien raide mais barrée à la circulation descend vers Rabaçal. Il reste alors 2,9 kilomètres pour les 25 sources et à peine un seul pour la cascade de Risco. Les premières étant les plus basses dans la vallée, nous les privilégions. Après une descente de marches sous un couvert forestier, nous longeons une très belle levada parfois bordée de beaux bosquets de fleurs.
A l'arrivée, nous sommes au sein d'un demi-cirque que dévalent une grosse cascade et d'innombrables filets d'eau. Ces écoulements se déversent dans un petit lac bleu-vert à travers lequel, par transparence, ressortent des rochers au teint vert-citron. Des pinsons des arbres, peu farouches, sautillent à nos pieds espérant sans doute un modeste présent de notre part, tribu des gens de passage aux habitants des lieux.
Nous enchainons après quelques instants de contemplation avec le second itinéraire plus court, plus plat et désormais plus fréquenté l'heure progressant tout aussi vite que nous. Nous atteignons ainsi un belvédère en face de la cascade de Risco. Fine et allongée, elle paraît quasiment interminable aussi bien vers les hauteurs que vers le fond de la vallée, espace qu'elle parcourt en plusieurs rebonds sur son plan incliné minéral. A notre droite, d'innombrables gouttelettes perlent dans les mousses qui tapissent les parois et, sous l'effet d'un temps plus clément, rayonnent d'une luminosité nouvelle.
Nous attaquons la remontée que Laëtitia m'annonce "tranquille" c'est-à-dire 3 kilomètres et 300 mètres de dénivelé positif en 40 minutes. Je ne suis pas sûr que beaucoup de touristes croisés ce matin aient la même définition de ce terme... Moment de détente qui rend la montée plus rigolote, le sourire à nos lèvres.
La route retrouvée, nous la traversons pour rejoindre une petite église faisant face à une trouée dans les nuages. En contrebas apparaissent Calheta et l'océan.
Nous retournons dans la foulée à l'hôtel pour y déjeuner tandis que le ciel se couvre temporairement. Pour autant, l'après-midi débute à peine. Nous convenons ainsi de ressortir pour deux heures supplémentaires, une autre levada passant dans les environs immédiats. Cette levada, c'est la levada do Paul. Elle s'écoule au milieu d'un amas de fougères et d'arbrisseaux secs. Le sentier est facile et plat mais peu large. Il ménage un bon panorama sur le littoral baigné de soleil. Sur la fin du parcours, un sit-in formé par un troupeau de vaches est levé à notre approche. Le but à atteindre surgit légèrement au-dessus de nos têtes : un Cristo Rei (Christ-Roi) semblable à ses homologues de Rio ou de Lisbonne mais d'une taille infiniment plus modeste avec ses 2 à 3 mètres de haut. Ultime demi-tour. Une journée terminée secs, c'est infiniment appréciable.
A l'hôtel, nous poursuivons la préparation de notre journée de demain ayant cette fois un ordinateur à disposition plutôt qu'un smartphone. La soirée sera l'occasion de disputer des parties de dames et d'échecs avant d'être rejoint par un drôle de zèbre, probablement échappé du bar fréquenté ce matin. Il s'agit d'un français se présentant comme un "voyageur expérimenté" qui vient nous raconter ses déboires : ayant recherché puis réservé via Expédia 10 nuitées au calme, il a atterri dans cet hôtel extrêmement isolé sans aucune activité proposée. 10 jours seul ou presque à ne strictement rien faire en dehors de deux excursions qui lui ont coûté une fortune car au départ de Funchal qu'il faut rejoindre en taxi ... En surfant un peu plus, il est pourtant facile de s'en rendre compte. Et pour comble, il n'a même pas réalisé notre balade de ce matin parce que "300m de montée c'est beaucoup trop". Je crois que Madère n'était pas un bon plan quoi qu'il aura des histoires impérissables à raconter à ses proches. Nous partons nous coucher divertis par l'infortune de notre compatriote vu le peu de sérieux de sa préparation de "voyageur expérimenté".